[20] Sunday train .×
PLAINTES
Cher journal,
Je suis tout de même sincère quand je te dis que je ne sais pas
par où commencer. Peut-être parce que je ne sais pas où j’en suis moi-même, et
que par conséquent, je me demande s’il vaut vraiment la peine que je ressasse
tout ce qui m’est arrivé, sous peine d’en devenir peut-être un peu trop
mélancolique et voire même sombrer dans une sorte de semi-dépression. Imagine,
je n’ai même pas eu le courage de relire tout ce que j’avais écrit auparavant. J’ai…
peur. Je n’ai pas envie de revivre dans le passé. Etrange dans ce cas de t’écrire,
tu ne trouves pas ? Mais aujourd’hui, j’ai senti le besoin de me confier,
à nouveau, comme dans le temps. J’étouffe, je suffoque, je m’asphyxie. J’ai l’impression
que ma vie se résume à une sorte de collier que je porte toujours autour de mon
cou, et que la fatalité s’amuse à en raccourcir la chaîne jusqu’à presque m’étrangler,
puis à l’élargir de nouveau, pour me laisser reprendre un peu d’air, cependant,
c’est un vrai cercle vicieux, enfin, pour elle, pas pour moi. J’aimerais juste
m’en sortir. Je n’arrive pas à me confier à mes amis, car j’ai l’impression qu’il
ne comprendrait pas, même si je sais, au fond de moi, qu’ils le feraient mieux
que n’importe qui d’autre. Pourtant… J’ai l’impression qu’ils sont tellement
loin de moi que cela est totalement impossible. Et moi qui m’étais promis de
bannir ce mot de mon vocabulaire… Je suis une idiote.
Te rappelles-tu de la paix, tranquillité, du bonheur qui m’envahissait,
avant ? Figure-toi que tout cela a été annihilé par un je-ne-sais-pas-quoi
qui fait qu’aujourd’hui, je me sens totalement vide. Plus d’idylle, plus de vie
de famille parfaite, plus rien. Juste le néant. Mais le pire dans tout ça, c’est
que personne ne sait ce qui se passe vraiment dans ma tête. Car après tout…
Est-ce que quelqu’un m’a déjà entendue me plaindre ?
Non. Personne ne m’a entendue me plaindre.
J’ai toujours supporté ce silence. Tu sais, j’y suis tellement
habituée ! Avant, ça ne me dérangeait pas, au contraire. Je n’ai jamais
aimé déranger les autres avec mes histoires inintéressantes, pas même Dwayne. J’ai
tout de même l’impression qu’il se doute que quelque chose me tracasse et me
laisse particulièrement intranquille, de plus en plus. A vrai dire, je crois qu’il
faudrait vraiment très, très mal me connaître pour ne pas s’en rendre compte. Ça
devient tellement évident que je vais bientôt finir par imploser. Oui,
imploser, et non pas exploser. Car je ne suis pas une fille qui hurle à la face
du monde tout ce qui ne va pas chez elle, pas comme d’autres. Je suis bien trop
invertie, malgré mes efforts.
Et je ne me plains jamais.
J’aimerais que ma vie soit à nouveau ce qu’elle était. J’aimerais
partir d’ici, à nouveau. J’aimerais juste… être une autre personne, le temps d’un
automne, comme s’il s’agissait de vacances. Les autres neuf mois de l’année, je
jouerai le jeu, comme d’habitude.
J’espère que tu ne t’es pas trop ennuyé aujourd’hui, et désolée de
m’être ainsi déversée sur toi. Tu es le seul qui m’écoute réellement. Le seul à
qui je me plains sans cesse, même en automne.
Iyana Evans.